Des ordures comme nourriture

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Glanage, dumpster diving, déchétarisme, freeganism, autant de noms pour décrire une réalité, la récupération de ce que d’autres ont laissé derrière. Bienvenue chez les pourfendeurs du gaspillage.

Dans les champs, d’hier…

(…) comme on voit le glaneur

Cheminant pas à pas recueillir les reliques

De ce qui va tombant après le moissonneur.

Déjà au 16e siècle, Joachim du Bellay, avec toute sa poésie, décrivait ce que Jean-François Millet, a mis en tableau en 1857 : des femmes penchées sur les épis de blé laissés dans les champs après les récoltes. Les glaneuses et leur famille, souvent en situation d’indigence à cette époque, en faisaient de menues réserves pour l’hiver. Elles glanaient pour survivre.

…à aujourd’hui, dans les conteneurs et ailleurs

De nos jours, le manque de ressources en pousse encore à glaner, mais ce n’est pas la majorité. On le voit notamment dans le documentaire Les glaneurs et la glaneuse d’Agnès Varda, réalisé en 2000. Elle en a suivi dans les champs et aux abords des routes, d’autres dans les vignes et les vergers. Certains l’ont amenée même jusque dans des serres. Ils glanent pour le plaisir, mais aussi pour profiter, voire sauver, des aliments « non conformes aux normes commerciales » qui autrement pourriraient sur le plant. Ces glaneurs repartent avec des kilos de pommes de terre, de coings, de raisins, de pommes, qu’ils partageront vu l’abondance.

Gaspillage et surconsommation inculqués et programmés

D’autres glanent aussi pour protester contre le gaspillage institutionnalisé. Ils n’achètent que peu ou pas d’aliments, refusant de participer à un système dysfonctionnel. Pour se nourrir, ils vident plutôt les ordures des épiceries, des boulangeries et des marchés à la fin de la journée. Pourquoi ces aliments sont-ils abandonnés ainsi? On l’entend de plus en plus dans les médias. Parce que les carottes en feuilles sont un peu amochées par la vie. Parce que les pots de yogourt auront bientôt dépassé la date « meilleur avant ». Parce qu’un des poivrons du lot n’a pas cette belle forme parfaite. Et parce que les stocks doivent rouler en magasin. Des cartons de lait au poulet entier, en passant par les fruits et légumes frais, de même que les pains et les paquets de viande, les récoltes des glaneurs sont souvent fastes, trop fastes.

Œufs, légumes et autres mal-aimés, aux barricades!

Les aliments rejetés deviennent des outils de contestation du système agroalimentaire actuel. Alex V. Barnard l’a constaté dans l’étude sociologique qu’il a réalisée en 2011 sur les adeptes du freeganism, mot télescopant free (gratuit) et veganism (végétalisme). Pour l’un des participants, la cueillette dans les conteneurs devient un prétexte pour sensibiliser les curieux qu’il croise lorsqu’il glane. Les cartons d’œufs récupérés deviennent l’emblème de l’élevage industriel; les tomates, des conditions de travail sur les fermes industrielles; les laitues biologiques, du couvert respectueux de l’environnement que se donne le capitalisme… Les freegans s’opposent donc, à divers degrés, à toute forme d’exploitation et de surconsommation, et souhaitent plutôt ardemment réduire le gaspillage et leur empreinte écologique. Bien qu’elle ne soit pas la solution à long terme, la poubelle en constitue une à court terme pour eux.

Salubrité, sécurité et légalité

Bon nombre remettent en question le fait que ces surplus se retrouvent aux ordures au lieu de prendre un raccourci vers les assiettes des moins bien nantis. Diverses raisons sont invoquées : complexité de la redistribution des aliments pour assurer leur salubrité, responsabilité liée à d’éventuels problèmes de santé, etc. Certains marchands préfèrent barrer les bennes à ordure que de courir ce risque. Paradoxalement, certains freegans disent manger mieux depuis qu’ils font les poubelles étant donné qu’ils ont accès à des aliments, notamment biologiques, qu’ils ne pourraient pas se permettre autrement. La plupart disent également ne jamais avoir été malades. Quelques-uns l’ont toutefois été parce que les aliments avaient été contaminés par des produits toxiques comme du javellisant ou encore du poison à rats… Par ailleurs, fouiller dans les poubelles de certains supermarchés pourrait s’avérer illégal étant donné que les bennes se trouvent sur des terrains privés… D’où l’importance de s’informer avant de s’embarquer dans une telle aventure. Parce que si deux règles de base prédominent (1. ne pas prendre plus que ce dont on a besoin, et 2. laisser l’endroit plus propre que l’état dans lequel on l’a trouvé), d’autres peuvent aussi prévaloir selon la région où l’on se trouve.

Le mot de la faim 

En tant que nutritionniste, je ne peux mettre de côté les notions d’hygiène et de salubrité, surtout en lien avec les aliments susceptibles de causer des toxi-infections alimentaires. Mais un tel gaspillage ne me laisse nullement indifférente. Et vous, qu’en pensez-vous? Verrez-vous les conteneurs à ordures sous le même œil? D’autres solutions sont aussi possibles. En mettez-vous en pratique?

Pour en voir et lire plus sur le sujet

  • Les glaneurs et la glaneuse. Documentaire d’Agnès Varda
  • Wasteful Thinking: the hidden world of food waste in Quebec. Documentaire de Judith Jacques and Tomas Urbina
  • Oakes, Warren. Why freegan?
  • Hoffman, John. (1992). The Art and Science of Dumpster Diving. Loompanics Unlimited.

Références

  • Barnard AV. ‘Waving the banana’ at capitalism: Political theater and social movement strategy among New York’s ‘freegan’ dumpster divers. Ethnography. Dec 2011;12(4):419-444.
  • Freegan.info – Strategies for sustainable living beyond capitalism
  • How to dumpster dive. WikiHow

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